Le nombre des hommes - La mesure de la population et ses enjeux (XVIe-XXIe siècle)
Fabrice Cahen
Classique Garnier
2022
276 pages
32 €
Si le livre s’ouvre sur le phénomène de quantification à tout-va durant la pandémie de Covid-19, cet ouvrage propose non pas une dénonciation des mésusages des nombres dans les conceptions populationnelles mais une réflexion sur la manière dont on quantifie les populations.
Déjà, il ne va pas de soi de compter les êtres, et encore moins de les rendre commensurables. Cette volonté est liée en grande partie à l’empirisme et au mouvement de rationalisation issus de la Renaissance : le chiffre est censé porter une vérité supérieure à l’opinion. Mais pour quantifier, il faut des données. Le major Graunt, au XVIIe siècle, a eu le génie de se saisir des bulletins de décès pour les transformer et les structurer en une source scientifique.
La rationalisation porte à créer des bases de données officielles (état civil…), mais l’auteur montre bien à quel point la notion de population est variable dans l’histoire et d’un démographe à l’autre. Cela pose, en creux, la question de l’établissement des nomenclatures et de l’usage de modèles mathématiques (ou au moins quantifiés) pour analyser le réel. L’idée même de population est éminemment politique : pour Rousseau, son augmentation est bon signe ; pour Malthus, c’est le contraire.
On ne dénombre pas les êtres sans avoir une finalité politique en tête. Les illustrations, parfaitement décrites par l’auteur, sont notamment l’eugénisme, la peur de la dépopulation, la peur de la surpopulation, la volonté de remplacer numériquement les morts à la guerre, l’idée de puissance d’une nation. Ainsi, au-delà de l’aspect populationnel, qui est passionnant dans l’ouvrage, c’est tout le sens de la modélisation mathématique et de son rapport au réel qui peut être mis en lumière.