Selon l’Étude de l’impact socio-économique des mathématiques en France réalisée en 2015 par CMI, un cabinet indépendant de conseil en stratégie fondé en 1986, les mathématiques participent à 15 % du produit intérieur brut (PIB) français. Elles sont en effet présentes dans le monde industriel, de manière plus ou moins explicite, sous de nombreuses formes : modèles, statistiques, algorithmes, optimisation, simulation numérique… L’étude démontre aussi la nécessité pour les différentes parties (entreprises, laboratoires de recherche en maths, groupements de recherche) d’interagir afin de développer et de mettre en place des outils mathématiques vecteur d’innovation au sein des entreprises.
Tous les secteurs concernés
L’Agence pour les mathématiques en interaction avec l’entreprise et la société (AMIES, www.agence-maths-entreprises.fr) est un laboratoire d’excellence créé en 2011 dans le cadre du Plan investissement d’avenir, en partenariat avec le CNRS, Inria et l’université Grenoble-Alpes. Elle vise à développer et à rendre plus visibles les interactions en mathématiques entre le monde académique et le monde industriel, afin de lever des verrous technologiques et de « booster » l’innovation au sein des entreprises. Les cibles principales d’AMIES sont les petites et moyennes entreprises, pour lesquelles l’accès à une expertise mathématique de haut niveau est plus difficile.
Les mathématiques étant omniprésentes, AMIES collabore avec des entreprises de tous horizons : environnement, santé, transport, énergie, finance… Elle intervient sur des projets aux champs de compétences mathématiques variés, allant de l’intelligence artificielle à la cryptographie, en passant par l’apprentissage statistique, l’optimisation, le traitement d’images, la recherche opérationnelle, la modélisation, le calcul haute performance… Pour cela, AMIES s’appuie sur un réseau d’experts (chercheurs et chercheuses en mathématiques) implantés dans les laboratoires de recherche. Les collaborations avec le monde industriel peuvent prendre différentes formes. Les « projets exploratoires premier soutien » (PEPS) sont des dispositifs qui co-financent d’une manière simple et flexible le lancement de projets de collaboration entre une entreprise et un laboratoire de maths en France. Le principal objectif est de rendre l’expertise mathématique accessible à une entreprise (de petite ou moyenne taille) qui souhaite innover, créer, améliorer un produit ou un service et être ainsi en avance sur son marché. Le montant du financement donné par AMIES oscille entre cinq mille et cinquante mille euros selon les besoins ; l’entreprise apporte au moins le même montant financier au projet. Depuis 2012, AMIES a financé cent trente-cinq tels contrats, pour un montant de plus de deux millions d’euros. Ces collaborations s’accompagnent souvent de recrutements (stagiaires, ingénieurs, post-doctorants). Plus de 95 % des personnes recrutées dans ce cadre ont trouvé un emploi à l’issue de leur contrat.
Les « semaines d’études maths entreprise » (SEME) donnent aux entreprises l’opportunité de tester les bénéfices des mathématiques sur leur problématique traitée par des doctorants durant une semaine. Près de trente SEME ont été organisées depuis la création d’AMIES et ont réuni près de six cent cinquante doctorantes et doctorants aux profils allant des mathématiques fondamentales aux mathématiques appliquées et à l’informatique théorique.
Enfin, le « forum emploi maths » (FEM) est un salon annuel qui connecte entreprises, étudiants et formation en mathématiques. Il est organisé par AMIES, la Société de mathématiques appliquées et industrielles (SMAI) et la Société française de statistique (SFdS).
Comment ça marche
Le PEPS peut permettre de développer ou de faire évoluer une offre, un produit… Ce fut le cas du projet « AIS de confiance », mené en 2018 par l’Institut de mathématiques de Marseille (CNRS et université Aix-Marseille, dans les Bouches-du-Rhône), l’École des mines de Saint-Étienne (à Gardanne, dans le même département) et l’entreprise SAS Athanor Engineering (domiciliée à Paris). Les structures ont été mises en relation par le pôle de compétitivité Mer Toulon Provence Méditerranée.
La société SAS Athanor Engineering a pour objectif d’innover au service de la sûreté maritime, notamment en exploitant le formidable potentiel du système d’identification automatique (AIS), qui permet d’échanger de manière automatisée des messages entre navires par radio. Les systèmes de surveillance de trafic peuvent ainsi avoir accès, à chaque instant, à l’identité, au statut, à la position et à la route des navires se situant dans une zone de navigation donnée.
Du côté académique, l’Institut de mathématique souhaite développer le thème « cryptographie appliquée » au sein de son équipe ; l’École des mines apporte son expertise en matière de cryptographie légère et d’arithmétique. Le PEPS a alors porté sur l’amélioration de la sécurité de l’AIS par ajout de dispositifs de sécurité, afin d’assurer l’authentification des émetteurs, l’intégrité des messages, la véracité et la non-répudiation de leurs contenus. Il s’agissait notamment de mettre en œuvre des mécanismes cryptographiques via un canal de communication radioélectrique à bas débit. Le PEPS a permis le financement d’un stagiaire en seconde année de master. L’entreprise a mis à disposition son chef de projet, un expert et un transpondeur. Une synergie entre compétences métiers et apports mathématiques a permis à ce projet de réussir. Une suite est envisagée par le biais d’une collaboration plus ambitieuse et de plus longue durée.
Le forum emploi maths poursuit un objectif très différent. Le FEM 2019, qui s’est déroulé au centre des congrès de la Villette (Paris), a permis à près de deux mille étudiantes et étudiants de niveau L3 à doctorat d’aller à la rencontre de près de quarante entreprises, de la start-up aux grands groupes, intéressées par leurs profils. Au programme de la journée : tables rondes, ateliers et visites de stands pour se renseigner sur les formations initiales et les poursuites d’études possibles (quarante universités étaient présentes). Un espace « formations et métiers des maths » avait pour objectif de présenter les différents débouchés après des études de mathématiques. Une « CV-thèque » a aussi permis de faciliter les rencontres entre étudiants et entreprises.
Les SEME, qui s’adressent pour leur part prioritairement aux doctorants et post-doctorants, permettent d’explorer des approches de mathématiques innovantes, quels que soient les domaines de recherche, qu’ils correspondent ou non aux problèmes proposés par des industriels. Quatre à six sujets sont ainsi sélectionnés, présentés et traités par des groupes de quatre à six jeunes chercheurs de toute la France, pendant une semaine. Chaque groupe peut orienter ses travaux comme il le souhaite. Les avancées sont présentées oralement le dernier jour en présence des industriels. La SEME d’Orsay de janvier 2019 a permis, par exemple, de réfléchir sur la reconnaissance du bruit d’un avion au survol (Paris Aéroport et Groupe ADP), sur la détection précoce de maladies pour des vaches équipées de capteurs (Seenergi), ou encore sur la modélisation et la prévision des temps d’échange en gare (SNCF).
Une mission aux résultats prometteurs
Depuis 2011, AMIES remplit sa mission de développer et rendre plus visibles les relations entre entreprises et laboratoires de mathématiques. Au-delà d’AMIES, c’est toute la communauté mathématique française qui est impliquée, de nombreuses collaborations avec des entreprises se font directement dans les laboratoires ou par les membres du réseau MSO. Par ailleurs, les formations de niveau master en mathématiques sont depuis longtemps en lien avec les entreprises, au travers des stages en entreprise, du développement de l’alternance et de l’intervention d’entreprises dans les formations. À l’issue d’une formation bac+5 en mathématiques en lien avec les entreprises, les trois quarts des diplômés sont en emploi peu après l’obtention du diplôme. Le taux d’emploi des docteurs 2017 en mathématiques est de 91 % au printemps 2018 (à comparer au taux de 86 % des docteurs, toutes disciplines confondues, un an après la soutenance). Parmi ceux-ci, 25 % sont dans le secteur privé.
Côté entreprises, les mathématiques sont très présentes dans l’innovation, au travers de l’intelligence artificielle par exemple, mais plus globalement au travers de l’économie numérique et de l’industrie 4.0, qui impliquent d’interconnecter l’ensemble de la chaîne de production, les modèles numériques, voire les produits finaux. Les gains attendus sont importants pour la maintenance prédictive, le pilotage en temps réel de la production, la détection précoce des dérives, mais aussi la réduction de la consommation d’énergie. Les défis scientifiques associés sont nombreux : sécurité des communications ; liens entre modélisation, simulation ; gestion et exploitation ; interopérabilité des systèmes et des formats…
Les besoins de personnes formées en mathématiques sont importants pour répondre à ces défis !