La tangente en X


François Lavallou

Autrefois réservé aux sergents, le port de l’épée ne fut accordé aux élèves de l’École polytechnique qu’après les trois journées révolutionnaires de juillet 1830.

 

Le Code X est un recueil à l’esprit potache de règlements établis par les élèves pour maintenir les traditions et l’honneur de cette institution et dans lequel on demande « que la forme gaie sous laquelle on te les présente ne t’en fasse pas oublier le côté sérieux ». L’ancien y parle au conscrit : « Vois-tu l’Ancien ? À sa démarche noble et fière, à ce chic qui le caractérise, tu ne peux manquer de le reconnaître […]. Son regard assuré écrase le pékin, son corps est droit, sa poitrine luxuriante ; il porte à gauche l’épée qui, tangente à la bande, touche à terre et fait voler la poussière. » De là, par métaphore, le nom de tangente donné à l’épée, qui n’a qu’un point de contact avec le corps.

À la rentrée, les anciens jettent pêle-mêle les épées des conscrits en un tas ; c’est la salade des tangentes. À chacun de retrouver la sienne, au prix d’une contribution versée à la caisse des élèves !

Dès le XIXe siècle, l’École accueille un certain nombre d’étrangers de grande famille en qualité d’auditeurs externes. Sans uniforme, et donc sans épée, ces élèves « à tangente nulle » sont naturellement appelés des constantes. Parmi les « constantes » célèbres, on peut citer les militaires russes Nikolaï Rimski-Korsakov (1844—1908), inspecteur des orchestres de la marine impériale, et Édouard Ivanovitch Totleben (1818—1884), glorieux défenseur de Sébastopol contre… les Français !

Le compositeur Rimski-Korsakov était atteint de synesthésie sonore, lui faisant percevoir les notes comme colorées, alors que le nom du général Totleben (« mort-vie » en allemand) est l’antonymie du calembour pléonasmique « occis-mort », de sa figure de style, l’oxymore.