Si l’on connaît Stanislaw Ulam (1909–1984), c’est généralement pour sa contribution déterminante à la bombe atomique à Los Alamos, aux États-Unis. Il en parle certes dans cette autobiographie mais ce n’est pas le point principal de son récit, et c’est tant mieux. Concernant son aventure à Los Alamos, il parle surtout de son amitié avec John von Neumann. On y découvre également la sociologie un peu arriviste des chercheurs américains qui s’oppose frontalement à celle, plus aristocratique, des mathématiciens polonais qu’il a fréquentés dans sa jeunesse.
Ulam raconte ses aventures, ses rencontres, nous fait découvrir l’importance des relations humaines dans la communauté mathématique (notamment l’humour), mais il utilise tous ces évènements pour s’interroger sur ce que sont les mathématiques. Dans les brefs récits qui concernent son enfance, il s’attache à réfléchir sur son propre apprentissage de la discipline, sur le plaisir qu’il y prenait, sur la puissance qu’elle semblait lui conférer, mais aussi sur la manière dont le cerveau repère et comprend spontanément des motifs géométriques. On y trouve aussi de très belles pages sur l’enseignement, qui mériteraient d’être lues par bien des professeurs d’aujourd’hui, notamment celle où il explique que les cours les plus stimulants étaient ceux de Banach, qui ne préparait jamais rien et devait « s’escrimer au tableau », tandis que les cours « trop bien huilés » l’ennuyaient à mourir.
Ce livre est passionnant et peut quasiment se lire comme un roman. On est transporté dans les aventures parfois amusantes, parfois tragiques, toujours enrichissantes d’un grand mathématicien dont on découvre tout ce qui se cache derrière la vague connaissance qu’on peut en avoir.