Un silence studieux règne dans la salle de classe du professeur Phi – encore plus studieux que d’habitude puisque l’heure est venue pour les étudiants en mathémagie de passer l’examen trimestriel dont le résultat pèsera sur les orientations décidées à la fin de l’année. L’enjeu est d’importance et chacun se concentre sur sa feuille, tâchant d’ignorer le passage entre les tables de la déambulation professorale, laquelle assure la régularité du déroulement de l’épreuve.
Le jeune Bêta, qui malgré quelques difficultés rencontrées dans la maîtrise de la matière n’a pas la moindre envie de se retrouver réorienté, sue sang, eau et encre sur sa copie. Il a beau avoir révisé le contrôle avec l’aide de son amie Epsilon, un manque chronique de confiance en lui le sépare toujours de la réussite. Pour mieux faire abstraction du regard de Phi, qui vient observer sa production par-dessus son épaule – ce qui, avouons-le, aurait de quoi déstabiliser n’importe quel médaillé Fields dans des circonstances similaires –, Bêta attrape dans sa poche un porte-bonheur dont la manipulation lui permet de gérer sa nervosité. Cette idée d’Epsilon aurait pu s’avérer excellente, mais l’objet en question échappe des mains de l’étudiant stressé au plus mauvais moment. S’avérant être une balle en caoutchouc rebondissante, elle profite de sa liberté retrouvée afin d’effectuer joyeusement un parcours à travers la salle, sous le regard horrifié de son propriétaire et sous celui, rouge de colère, du professeur, qui prend cette maladresse pour un affront personnel.
Phi s’empare de l’objet du délit, qui avait trouvé refuge dans un recoin de la pièce, et siffle à l’intention d’un Bêta qui s’est liquéfié sur sa chaise : « Vous viendrez me voir à la fin de l’épreuve. »
En chute libre…
L’examen terminé, Epsilon attend son camarade, qui s’est rendu à la convocation de son professeur.
« Alors ? lui demande-t-elle lorsqu’il sort enfin de la salle.
‒ Alors le professeur Phi a ouvert la fenêtre, tendu le bras et laissé tomber ma balle porte-bonheur. Il m’a dit qu’il ne corrigerait ma copie que si je parvenais à lui indiquer approximativement au bout de combien de temps elle allait cesser de rebondir… Qu’est-ce que j’en sais, moi ? »
Epsilon trouve la sanction hors de propos et injuste ; elle se sent par ailleurs un peu coupable d’avoir mis la balle rebondissante entre les mains de son ami.
« Je vais t’aider à modéliser le problème, propose-t-elle, et nous allons le résoudre en plusieurs étapes. Déjà, on peut estimer que la salle de classe d’où la balle a été lâchée se trouve à seize mètres du sol. Ensuite, elle avait l’air de perdre la moitié de sa hauteur à chaque rebond. Et pour finir, on va supposer qu’elle arrête de rebondir à partir du moment où la hauteur de rebond est inférieure à 1 cm. Je te rappelle aussi que nous avons vu en sciences physiques l’équation de la chute libre : la relation entre la hauteur h de la chute et sa durée t est donnée par h = 1/2 × gt2, g valant, par une coïncidence amusante, 9,81 m/s² sur Prépaterra.
‒ Bon, soupire Bêta, j’imagine qu’il ne me reste plus qu’à mettre tout cela en équation pour trouver au bout de combien de temps cette pauvre balle a cessé de rebondir… »
Cher lecteur, avec ces informations, pouvez-vous aider Bêta à assurer son avenir en répondant à la question du professeur Phi ?