D'un côté la physique, de l'autre les mathématiques ?


Gilles Cohen

Il serait illusoire de considérer les mathématiques et la physique comme deux disciplines bien distinctes l'une de l'autre tant les échanges et les interactions sont nombreux. La physique mathématique en constitue d'ailleurs une intersection non vide

Une fable

Il était une fois un physicien, qui s’occupait des phénomènes de la nature, et qui avait bien de la peine à s’en sortir. Et voilà qu’un beau jour, tel Zorro, un spécialiste d’une autre discipline, le mathématicien, est venu lui fournir les outils qui l’ont sorti de l’ornière.

 

Ce schéma, valable pour un certain nombre de disciplines, sciences exactes comme sciences humaines, n’est que fantasme quand il s’agit de la physique. Les découvertes dans les deux disciplines ont toujours été étroitement mêlées, de sorte qu’on n’a souvent pas pu dire si c’étaient les nécessités de la physique qui ont poussé les mathématiciens à explorer de nouveaux concepts, ou si, réciproquement, c’est la connaissance mathématique qui a révélé des résultats insoupçonnés en physique.

 

Un débat

Deux thèses coexistent.

– Les mathématiques sont le langage de la nature. 

Einstein : « D’après notre expérience à ce jour, nous avons le droit d’être convaincus que la nature est la réalisation de ce qu’on peut imaginer de plus simple mathématiquement.?Je suis persuadé que la construction purement mathématique nous permet de trouver ces concepts et les principes les reliant entre eux, qui nous livrent la clé de la compréhension des phénomènes naturels. »

– Les mathématiques sont le langage de l’homme. 

Heisenberg : « Les formules mathématiques ne représentent pas la nature, mais la connaissance que nous en avons ».

 

Déjà dans l’Antiquité, Aristote affirmait que les êtres mathématiques n’existent dans l’intellect que comme abstraits, à partir des sensations que nous procurent les objets physiques, les « corps ». Ce dont il est fait abstraction, et qui caractérise les objets physiques, c’est le mouvement ou le changement.

 

Galilée dira, près de deux mille ans plus tard : « On ne peut comprendre l’univers si on n’apprend pas d’abord à connaître la langue et les caractères dans lesquels il est écrit. Il est écrit en langue mathématique et ses caractères sont des triangles, des cercles, et d’autres figures géométriques… » 

 

Pas de changement au XXe siècle, où l’astrophysicien James Hopwood Jeans affirme : « Le Grand Architecte semble être mathématicien. »
Le physicien Paul Langevin en est presque gêné : « Il est remarquable que, parmi les constructions abstraites réalisées par les mathématiques en prenant pour guide exclusif leur besoin de perfection logique et de généralité croissante, aucune ne semble devoir rester inutile au physicien. Par une harmonie singulière, les besoins des physiciens, soucieux de construire une représentation adéquate du réel, semblent avoir été prévus et devancés par l’analyse logique et l’esthétique abstraite du mathématicien. »

 

De nouvelles branches de la physique

Des voix s’étant dressées pour réclamer une physique « plus intuitive », « moins mathématique », il s’est avéré indispensable de créer une branche intermédiaire entre la physique et les mathématiques : la physique mathématique, qui s’intéresse aux aspects formels. Son rôle est de travailler sur des théories physiques déjà parfaitement échafaudées (par la physique théorique) en s’assurant de leur cohérence mathématique.

 

Il ne faut pas croire pour autant que tout en physique est aujourd’hui expliqué mathématiquement.

 

En mécanique quantique, les lois mathématiques s’embourbent lorsqu’on a affaire à des structures complexes.

 

En mécanique des fluides, beaucoup de lois empiriques n’ont pas d’expression mathématique explicite.

 

On peut penser que l’adéquation existe intrinsèquement, mais n’a pas été mise en évidence, soit qu’on n’a pas su encore faire coïncider loi physique et théorie mathématique, soit enfin que la théorie mathématique qui s’appliquerait n’existe pas encore…

 

Un deuxième hors-série de Tangente consacré à l’évolution moderne de la physique mathématique paraîtra au début de l’été 2019.