Bonne année ! Les propriétés de 2023


Daniel Lignon

Comme c’est devenu une habitude, l’équipe de Tangente recherche les propriétés du millésime qui définit la nouvelle année dans le calendrier grégorien qui est le nôtre. Alors, que dire de 2023 ? Un regard particulier sous l’angle du crible de Flavius Josèphe sera porté dans cette exploration.

Pour un matheux, la première question qui peut se poser quand on étudie un nombre concerne sa factorisation. L’entier naturel 2 023 est-il un nombre premier ?

Eh bien non : il se factorise sous la forme 2 023 = 7 × 172.

On peut également remarquer que 2 023 = 2 048 – 25 = 211 – 52.

Raphaël Douady en profite pour exprimer 2 023 avec deux uniques chiffres, 2 et 5 :

2 023 = 25×2 × 2 – 52

ou encore : 2 023 = 2(52 – 2(5 + 2)) – 52

ou même : 2 023 = 2((5 – 2)2 + 2) – 52.

Avec les deux uniques chiffres 3 et 1, on peut aussi écrire :

2 023 = (33 – 1)(1+1) + ((3+3)(1+1) + 1) × 3³.

À vous de faire preuve d’imagination, comme Dominique Souder, dont vous pouvez découvrir en page suivante le carré magique qu’il a créé.


« Kitano » pour 2023

Depuis plusieurs années, Tangente s’intéresse au calcul du millésime en respectant certaines règles imaginées par le Japonais Takeshi Kitano.

Kitano n’est pas mathématicien : c’est un réalisateur, un cinéaste. Lors de l’exposition « Mathématiques, un dépaysement soudain » qui a eu lieu à Paris en 2011 à la Fondation Cartier pour l’art contemporain (voir Tangente 143, 2011), il proposait un défi aux visiteurs. Il fallait trouver la formule la plus courte permettant d’exprimer l’année en cours en écrivant, dans l’ordre, les premiers nombres entiers auxquels on appliquait :

• des opérations usuelles prises parmi +, ‒, ×, /,

• des puissances d’ordre quelconque ou des racines carrées,

• éventuellement des factorielles et des concaténations de chiffres.

 

Toutes les combinaisons sont bienvenues, mais le but principal est d’y parvenir avec le minimum de chiffres. Pour l’année 2 023, voici quelques propositions de deux collaborateurs de Tangente.

Alain Zalmanski (détendeur du record, avec six chiffres seulement) :

2 023 = 1×2 + (3!)4 + 5 + 6!,

2 023 = (1+ 2 + 3)4 + (5!) × 6 + 7,

2 023 = (((1+ 2)3 + 4) × 5) × (6 + 7) + 8,

2 023 = ((1 + 2 + 3 – 4) × 56 + 7) × (8 + 9).

François Lavallou n’est pas en reste avec ses propositions :

2 023 = (‒1 + 234 + 56) × 7,

2 023 = (1 + 23) × 4 × 56 + 7,

2 023 = 1234 × (‒5 + 6) +789.


2023 sous le crible de Flavius Josèphe

Au-delà de ces considérations ludiques, l’une des propriétés les plus remarquables de l’entier 2 023 est sans doute d’être un nombre de Flavius Josèphe : il est issu d’un « crible » particulier, semblable au crible d’Ératosthène (voir, par exemple, Tangente 149, 2012), lequel permet de générer les nombres premiers.

Flavius Josèphe (vers 37 ‒ vers 100), d’origine juive, né en Judée sous domination romaine, a été commandant militaire de la Galilée lors de la guerre contre les Romains, avant de s’établir ensuite à Rome. Il est considéré comme l’un des plus importants chroniqueurs historiques de l’Antiquité gréco-romaine. On lui doit le récit, en grec, des évènements et des conflits de son temps entre Rome et Jérusalem. Son nom est lié à un problème de combinatoire que l’on peut illustrer par le (tragique) récit détaillé dans l’encadré.

 

La légende du problème de Flavius Josèphe

Flavius Josèphe se retrouva bloqué dans une cave avec quarante autres soldats juifs, cernés par des Romains. Certains dans le groupe persuadèrent leurs compagnons de se tuer pour ne pas tomber aux mains de l’ennemi. Ne partageant pas ce point de vue mais n’osant s’opposer au groupe, Flavius proposa la méthode suivante : « On se met en cercle et chaque troisième personne est tuée par un membre du groupe, les deux derniers se suicideront. » Bien sûr, il pensait se placer à la « bonne place » pour être l’un des deux derniers et persuader ensuite l’autre survivant de se rendre aux Romains sans se suicider… Ce qu’il fit !
 

 

Inspiré de ce récit, mais modifié pour l’ensemble de tous les entiers, le crible de Flavius Josèphe est le suivant.

• On écrit la succession des nombres entiers : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49…

• À la première étape, on élimine un nombre sur deux de cette liste. On obtient alors : 1, 3, 5, 7, 9, 11, 13, 15, 17, 19, 21, 23, 25, 27, 29, 31, 33, 35, 37, 39 41, 43, 45, 47, 49…

• À la deuxième étape, on élimine un nombre sur trois de cette nouvelle liste : 1, 3, 7, 9, 13, 15, 19, 21, 25, 27, 31, 33, 37, 39, 43, 45, 49…

• À la troisième étape, on élimine maintenant un nombre sur quatre de cette liste : 1, 3, 7, 13, 15, 19, 25, 27, 31, 37, 39, 43, 49…

• On répète ce processus indéfiniment, en éliminant un nombre sur n + 1 à la nème étape.

 

Les nombres restants après passage dans ce crible sont, par définition, les nombres de Flavius Josèphe. Parmi les entiers inférieurs à 100, on trouve 1, 3, 7, 13, 19, 27, 39, 49, 63, 79 et 91.

Ensuite, de nombreux autres entiers sont présents, parmi lesquels… 2 023. C’est le cinquante-et-unième nombre de Flavius Josèphe !

Même s’il en existe une infinité, ils semblent « beaucoup moins nombreux » que les nombres premiers. En effet, il y a trente-cinq nombres de Flavius Josèphe inférieurs à 1 000 alors qu’il y a cent soixante-huit nombres premiers dans ce cas. Et l’écart ne cesse de s’agrandir : parmi les entiers inférieurs à 10 000, il y a cent douze nombres de Flavius Josèphe et mille deux cent vingt-neuf nombres premiers ; parmi les entiers inférieurs à 100 000, il y a trois cent cinquante-sept nombres de Flavius Josèphe et neuf mille cinq cent quatre-vingt-douze nombres premiers.

La distribution asymptotique des nombres de Flavius Josèphe est différente de celle des nombres premiers. Quand n tend vers l’infini, le nombre d’entiers de Flavius Josèphe inférieurs à n est équivalent à  alors que, d’après le théorème des nombres premiers, le nombre de nombres premiers inférieurs à n est équivalent à  (où ln est la expression logarithme népérien) : cette dernière est une fonction qui croît plus vite que la précédente quand n est « de plus en plus grand ».

On peut s’étonner que de tels nombres aient été étudiés. Ils ont été introduits par le mathématicien américain d’origine polonaise Stanislaw Ulam (1909‒1984) notamment pour distinguer, parmi les propriétés des nombres premiers, lesquelles sont la conséquence du fait qu’ils sont issus d’un crible et lesquelles leur sont propres. Ulam est aussi connu pour avoir fait partie de l’équipe qui mit au point la bombe H durant la Seconde Guerre mondiale. Quoi qu’il en soit, grâce à lui, on dispose d’une jolie propriété à mettre au crédit de 2023, et gageons qu’ainsi l’année qui commence n’en sera que meilleure !

 

Un millésime « magique »

Ce carré magique a été créé par Dominique Souder. Les quarante-neuf entiers se succèdent de neuf en neuf, depuis 73 jusqu’à 505.

Le tableau est un carré magique de somme 2 023. 

En effet, 2 023 est la somme des nombres :

• de chaque ligne,

• de chaque colonne,

• de chaque grande diagonale.

Le tableau offre en outre une séparation de nombres pairs (sur fond blanc) et des nombres impairs (sur fond orange).